PROJET
DE RUCHER ECOLE A MAYOTTE
I
ETAT DES LIEUX DE L’APICULTURE LOCALE
II
UN RUCHER ECOLE POUR QUOI FAIRE ?
III
ELEMENTS DE CAHIER DES CHARGES
I ETAT DES LIEUX DE L’APICULTURE LOCALE
Absence de tradition
apicole et destruction des abeilles
De
manière générale, à Mayotte, l’abeille est plutôt redoutée,
mal connue… et donc mal aimée ! Les services qu’elle rend
en tant que pollinisatrice ne sont pas ou très peu reconnus, y
compris par la population rurale. Par contre le miel local est un
produit recherché, très rare et…très cher !
La
cueillette de miel n’est pratiquée que par une poignée de
personnes âgées, qui savent encore prélever des rayons de miel sur
des colonies sauvages, sans les détruire.
Mais
la pratique malheureusement la plus répandue consiste à mettre le
feu pour faire fuir les abeilles, avant de prélever le miel. On
retrouve ensuite les rayons de couvain et de pollen calcinés et
jetés au sol. Associée au prix élevé du miel et à la
surpopulation, cette pratique ne cesse de se développer, menaçant à
terme la survie de l’abeille à Mayotte.
A
l’inverse de l’Afrique ou de Madagascar, il semble qu’on n’ait
jamais construit de ruches traditionnelles à Mayotte, ni d’ailleurs
dans l’archipel des Comores. Ainsi il n’existe pas de mot en
shimaoré pour dire « ruche ». Il n’y a donc aucune
tradition de domestication de l’abeille locale du côté des
humains… et aucune habitude d’être manipulée et encore moins
enruchée du côté des abeilles.
Il
faut signaler également des problèmes de sécurité des ruchers,
dans un contexte local de plus en plus tendu : vols,
dégradations « gratuites », jets de pierres sur les
colonies sauvages, brûlis non maîtrisés…
Une abeille locale
remarquable…
Communément
appelée « abeille noire de Madagascar », ou apis
mellifera unicolor, elle a été très peu étudiée
scientifiquement. On ignore par exemple si, comme à Madagascar, on
retrouve deux écotypes différents, l’un plutôt présent en
plaine, l’autre davantage en altitude, ou bien si l’abeille de
Mayotte (et plus généralement des Comores), constitue en elle-même
un écotype particulier.
Contrairement
à Madagascar ou La Réunion, l’abeille locale n’a fait l’objet
d’aucune hybridation avec les races européennes plus productives,
mais aussi plus sensibles aux maladies et moins adaptées au climat
tropical.
En
plus de constituer une réserve de biodiversité pour les générations
futures, notre abeille reste donc pour l’instant exempte des
maladies et parasites qui affectent ses congénères presque partout
dans le monde : varroa, loque américaine, nosémose, etc.
C’est
une petite abeille plutôt douce, extrêmement bien adaptée au
climat local qui est fait d’une alternance de saisons très sèches
et très humides. Elle résiste autant aux fortes chaleurs qu’à un
taux d’humidité très élevé.
…mais difficile à domestiquer !
Une
des particularités d’apis mellifera unicolor est la
tendance à la migration. En cas de sécheresse, d’exposition à la
pluie ou de dérangement, l’ensemble de la colonie peut déserter,
même en présence de couvain. Son caractère plutôt sauvage, rend
par ailleurs les enruchements difficiles.
Pourtant,
depuis un couple d’années, encadrés par Jean-Pierre PAPY, un
enseignant du lycée agricole de Coconi, quelques apiculteurs
originaires de Mayotte autant que de métropole, se sont essayés à
développer l’élevage de notre abeille sauvage : formation
d’apiculteurs amateurs, formation d’exploitants agricoles,
transmission de savoir informel…
Début
2017 une petite vingtaine de ruches peuplées sont recensées,
principalement grâce au piégeage.
Les
difficultés rencontrées ont été synthétisées grâce à la
création d’une association d’apiculteurs créée en novembre
2016 :
- Faible taux de réussite des enruchages d’essaims sauvages
- l’abeille ne construit pas sur les cires issues du commerce
- faible tenue au cadre, tendance à la dispersion dès l’ouverture de la ruche
- absence de standardisation des ruches construites localement
- désertions fréquentes en cas de dérangement, même en présence de couvain
- pas ou peu de construction dans les hausses
- faible productivité des colonies en ruches
- méconnaissance des périodes d’essaimage (et surtout de présence des mâles)
En
résumé, il existe une dynamique collective naissante, mais aussi,
en l’absence de résultats, un risque de découragement des
apiculteurs amateurs, ainsi que des exploitants agricoles qui se
forment dans la perspective d’obtenir un complément de revenu
significatif.
II UN RUCHER ECOLE POUR QUOI FAIRE ?
La
création d’un rucher école semble bien adaptée pour répondre
aux besoins des apprentis apiculteurs de Mayotte, ainsi qu’à la
préservation de l’abeille locale. Au vu de la situation actuelle,
ses missions pourraient être :
- LA SENSIBILISATION DE LA POPULATION
3)
LA MISE EN COMMUN DE MATERIEL DE PRODUCTION
4)
L’EXPERIMENTATION ET LA SELECTION
5)
L’AIDE A LA PROFESSIONNALISATION
- La sensibilisation de la population
Il
s’agit de diffuser un certain nombre d’informations et de
recommandations sur les thèmes suivants
- l’importance de l’abeille en tant que pollinisatrice
- l’intérêt d’avoir une abeille endémique non hybridée et exempte de maladies
- le danger des pratiques de destruction pour prélever le miel
- l’impact des brûlis sur les abeilles
- la possibilité de récolter du miel par l’élevage en ruches
Ce
travail peut se réaliser sous différentes formes : exposition
fixe et itinérante, interventions auprès du public scolaire,
communications en direction du monde agricole…
- La formation et l’échange de savoir
Activité
traditionnelle des ruchers écoles, la formation est généralement
délivrée par des apiculteurs confirmés, à destination
d’apiculteurs amateurs débutants, regroupés par niveaux. Chaque
niveau bénéficie le plus souvent de 2 ou 3 demi-journées de
formation par an.
Niveau
1 : les bases théoriques, les outils, l’enfumage,
l’ouverture, l’observation de la colonie, la récolte,
l’identification des maladies
Niveau
2 : multiplication par division, recherche et marquage des
reines, fabrication de cire
Niveau
3 : élevage de reines (greffage)
Le
suivi et la diffusion des travaux scientifiques passés et à venir,
pourra également faire partie des missions du rucher école. En
particulièrement au sujet d’apis mellifera unicolor, et
d’un possible écotype local.
- La mise en commun de matériel de production
En
métropole, cette activité n’est pas nécessairement associée aux
ruchers écoles. A Mayotte, elle semble s’imposer pour trois
raisons.
-Tout d’abord la difficulté à faire venir du matériel, le coût
élevé du transport et des taxes.
-
Ensuite ce matériel commun contribuera à la standardisation des
modèles de ruches, et donc des cadres, pour la manipulation, les
transvasements, l’extraction. L’objectif n’est pas que tout le
monde ait les mêmes types de ruches, mais au moins que toutes les
ruches de type « Langstroth », par exemple, fassent la
même largeur!
- La
troisième raison est que la présence de matériel performant au
sein du rucher école, permet de créer une dynamique de partage de
savoir entre des apiculteurs qui se retrouvent pour l’utiliser.
Le
matériel de base :
-un
extracteur motorisé accueillant le plus de standards possibles
-un
bac à désoperculer
-des
maturateurs avec vannes pour la mise en pot
-une
machine à fabriquer des feuilles de cire (« gaufrier »)
Un
petit atelier de menuiserie permettant de fabriquer des ruches et des
cadres à des formats standards serait également d’une grande
utilité.
4)
L’expérimentation et la sélection
L’expérimentation
consiste essentiellement à mieux connaître le comportement de notre
abeille endémique dans une perspective de production de miel.
Comment limiter les désertions, améliorer les enruchages, quelle
taille pour les grilles à reines locales, quelles sont les périodes
de fécondation, la durée d’activité optimale des reines, etc. ?
Au
vu du peu de connaissances dont on dispose au sujet de notre abeille,
ce travail est très important. Il peut se dérouler spécifiquement
au rucher école si l’on dispose d’un technicien adéquat, ou
sous forme d’un programme conduit par plusieurs apiculteurs locaux,
mettant en commun, validant puis diffusant leurs progrès techniques
par l’intermédiaire du rucher école.
La
sélection est une approche qui consiste à « améliorer »
une race locale, par reproduction systématique des caractères que
l’on souhaite favoriser. Il n’y a pas hybridation avec une autre
variété, mais au contraire préservation de celle-ci. L’exemple
le plus connu est sans doute le « sauvetage » de la
petite abeille noire bretonne, à partir de colonies retrouvées sur
l’île d’Ouessant qui n’avaient pas encore été au contact
d’abeilles hybrides. En multipliant les colonies à partir des
meilleures reines de cet écotype, et en saturant de mâles leurs
ruchers de fécondations, les apiculteurs ont réussi à la rendre
plus productive et plus douce, tout en préservant ses caractères
d’origine (rusticité, résistance au froid et à l’humidité…).
Si ce travail est conduit sur Mayotte, il permettra peut-être de
préserver l’espèce locale, tout en favorisant le développement
apicole.
Sinon,
il est certain que les apiculteurs mahorais finiront un jour ou
l’autre par faire venir d’Europe ou de La Réunion des reines
hybrides « domestiquées ». Leur descendance ne mettra
que bien peu de temps à faire oublier notre abeille endémique… et
tant pis pour les générations futures qui devront en gérer
les conséquences en terme de maladies associées et de perte de la
biodiversité.
En
métropole, de nombreux ruchers écoles constituent ainsi des
réservoirs de reines locales sélectionnées au fil du temps, qui
peuvent ainsi être données ou vendues à leurs adhérents. Le cycle
de reproduction de l’abeille n’étant que de quelques semaines,
le travail de sélection peut très rapidement porter ses fruits. A
Mayotte, les points à travailler pourront être par exemple :
limiter la désertion, accepter la mise en ruche, améliorer la tenue
au cadre et la production de miel.
5)
La professionnalisation
Tous
les points évoqués ci-dessus pourront contribuer à une
professionnalisation de quelques apiculteurs locaux. On peut
distinguer trois types de « candidats » :
-des
exploitants agricoles qui se forment dans la perspective d’un
complément de revenus
-des
personnes qui souhaitent se reconvertir en tant
qu’apiculteurs.
-des
jeunes qui pourraient s’insérer dans la vie active par
l’apiculture.
En
dehors des aspects de formation, de mise en commun de savoirs et de
matériels, d’expérimentation et de sélection, le rucher école
peut contribuer à moyen terme à la professionnalisation de
l’apiculture mahoraise en favorisant la commercialisation
et la labellisation.
A
court terme, l’accueil de stagiaires et la présence d’une petite
boutique au sein du rucher école, semblent des objectifs
accessibles.
III ELEMENTS DE CAHIER DES CHARGES
1)
La composition du rucher école :
Le
rucher
La
taille minimale du rucher est d’une douzaine de ruches peuplées,
sans compter les ruchettes d’élevage. Etant donnés les différents
types de ruches présentes sur l’île (Dadant, Langstroth,
kenyannes, Warré…), il en faudra sans doute davantage à terme.
L’espace
dédié aux ruches devra être le plus plat et le plus vaste
possible, de manière à pouvoir travailler et circuler aisément
entre les ruches et derrière elles. La surface nécessaire minimale
du rucher proprement dit est de 300 à 500m2, selon la configuration
du terrain.
La
présence d’arbres, ou d’ombre même artificielle, est une autre
nécessité si l’on ne veut pas favoriser les désertions.
Le
terrain devra être bien drainant, de manière à ne pas avoir à
travailler dans la boue en saison des pluies.
Enfin,
Il importe de prévoir une distance minimale de 150 à 200 m entre le
rucher et le reste des installations, pour les moments où les
abeilles se mettront en colère ! Cette distance ne devra pas
être trop importante non plus, car il y aura du matériel à
transporter entre les deux.
Les espaces de
travail et de formation
La
miellerie est un espace que l’on doit absolument pouvoir fermer
hermétiquement (le miel attire les abeilles !), carrelé et
disposant d’un point d’eau chaude pour le nettoyage du matériel.
Il s’agit du matériel de base nécessaire à l’extraction :
bac à désoperculer, extracteur électrique, maturateurs.
Prévoir
au moins 50m2 pour cette seule activité, car on doit aussi pouvoir y
stocker les hausses pleines et travailler avec des personnes en
formation.
La
miellerie pourra aussi accueillir l’espace pour la production
et la mise en forme de la cire locale, ce qui sera fort utile,
étant donné que notre abeille ne construit pas (ou quasiment pas)
sur la cire du commerce. En dehors des différentes gamelles et
passoires, Il faudra pour cet atelier un réchaud, un point d’eau
et un gaufrier.
Enfin
on aura besoin d’un vestiaire, qui est aussi l’endroit où
l’on range les tenues d’apiculteur… et où l’on peut se
changer à l’abri des piqûres !
Soit
30 à 40 m2 supplémentaires pour le vestiaire et l’atelier cire.
La
miellerie, l’atelier cire et le vestiaire ne sont pas
nécessairement cloisonnés entre eux.
La
salle de formation théorique doit pouvoir accueillir au minimum
une quinzaine de personnes. Sa fonction est à la fois de salle de
cours et de salle de réunion.
Un
bureau, à dimensionner en fonction du projet final :
présence ou non d’un animateur technique, pédagogique, gestion de
matériel coopératif, accueil du secrétariat de l’association
d’apiculture, d’un futur syndicat apicole ?
L’atelier
de menuiserie peut dans un premier temps n’être qu’un espace
de stockage et de fabrication « avec les moyens du bord ».
Il serait quand même utile pour le futur de réserver l’espace
pour un véritable atelier avec quelques machines permettant de
fabriquer des ruches, des hausses et des cadres, ainsi que stocker du
bois.
Cela
est justifié par le cas particulier de Mayotte, où les coûts de
transport obligent à être autonome.
Prévoir
donc au minimum 50m2 pour cette activité.
La
boutique, la salle d’exposition ne constituent pas
nécessairement des priorités, et de plus elles peuvent se situer
ailleurs qu’au rucher école. En effet, elles sont destinées
davantage aux visiteurs extérieurs qu’aux adhérents. Toutefois,
si le rucher école devient pour partie un rucher pédagogique, il
pourra être intéressant que la salle d’exposition se trouve dans
le même espace.
Bien
penser à installer ces lieux d’accueil du public le plus loin
possible du rucher, afin de limiter les dérangements réciproques.
Parking
et accès véhicules : il importe d’installer le parking à
l’opposé des ruches, tout en y conservant un accès véhicules,
ainsi qu’à l’atelier et à la miellerie.
- La sécurisation du site
A
Mayotte plus qu’ailleurs, le rucher école devra être protégé
contre le cambriolage et le vandalisme. Ainsi on évitera de disposer
les ruches juste derrière la clôture, à un jet de pierre…
Par
ailleurs le miel, le matériel en inox, les outils, le bois, le
matériel de bureau… constituent évidemment des tentations.
Il
sera donc important, au moment de choisir le site du futur
rucher-école, de prendre en compte la facilité et le coût de
sécurisation comme un des critères.
- Les moyens humains
Qu’il
soit géré par un syndicat d’apiculteurs professionnels, un GDSA,
ou encore une associations d’apiculteurs amateurs, aucun rucher
école ne peut fonctionner sans reposer sur un important bénévolat,
que ce soit pour la partie gestion ou la partie transmission. Dans le
monde de l’apiculture, chacun a bénéficié d’un savoir transmis
gratuitement par d’autres, apiculteurs, et se doit donc à un
moment ou à un autre, de le retransmettre à son tour.
Bien
que ces valeurs doivent guider notre projet, elles risquent cependant
de vite trouver leurs limites à Mayotte. En effet
-la
tâche est très vaste et l’on part presque de zéro, tant au
niveau de la connaissance de l’abeille, de l’apiculture ou encore
d’un site entièrement à construire
-
l’île compte très peu d’apiculteurs confirmés, qui par contre
ont à former un très grand nombre apiculteurs débutants
-la
mise en place du rucher école, depuis l’installation des ruches
jusqu’au suivi technique de l’installation, ne relève pas
réellement du bénévolat, mais plutôt d’un projet de
développement rural, et non d’un travail de transmission
proprement dit.
En
conclusion, ce projet ne pourra se réaliser à Mayotte sans une aide
extérieure, mais n’aura de sens qu’avec une forte implication
des apiculteurs et des apprentis apiculteurs locaux.
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